Islam et modernité

Je commence par remercier la ville de Valence, ses élus pour l’organisation, en partenariat avec l’institut du monde arabe, de cette superbe et magnifique exposition Qantara (Passerelle). Nous avons besoin de construire des ponts et non pas de construire des murs.

Cette exposition et ses activités annexes contribuent à réaliser un objectif noble et concret « mieux se connaître pour mieux vivre ensemble ».

Je vous remercie aussi de m’avoir invité à cette table ronde même si je ne suis pas un grand spécialiste du thème de la modernité et des ses ramifications philosophiques. Je suis un homme du terrain, un imam en contact permanent avec les musulmans et au courant de leurs préoccupations et un acteur du dialogue interreligieux, inter-civilisation et de l’ouverture à l’autre.

L’islam établi, depuis 14 siècles, l’égalité du genre humain et appela l’humanité à pratiquer l’interconnaissance « [13] Ô hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous vous avons répartis en peuples et en tribus, pour que vous vous entre connaissiez. En vérité, le plus méritant d’entre vous auprès de Dieu est le plus pieux. » 49. Sourate des Appartements (Al-Hujurât)

Lors du sermon de l’adieu le Prophète affirma une fois de plus cette égalité : « Ô Hommes ! Votre Seigneur est Un et votre père est un. L’arabe n’a aucun mérite sur le non arabe, ni le blanc sur le noir, ni le noir sur le rouge, sauf par la piété. »

Pour aborder le thème proposé de cette table ronde « Chrétiens et musulmans : entre tradition et modernité : quels sont les défis à relever ? » je traiterai dans l’ordre les points suivants

ð        Toute en sauvegardant ses principes fondateurs la religion musulmane a beaucoup évoluée à travers l’histoire car elle devait faire face à l’évolution naturelle de l’humanité.

ð        Une religion qui n’évolue pas, ne peut pas prétendre l’universalité.

ð        L’islam se veut une religion universelle qui vient clôturer et parachever tous les messages divins. Cela exige d’elle une adaptabilité, une souplesse, une flexibilité, une largesse.

ð        La porte de l’Ijtihad (effort intellectuel d’interprétation) reste toujours ouverte.

ð        Durant près de treize siècles, les musulmans ont adhérés à une unique Shari’a, mais ils ont reconnu plus de plusieurs articulations (écoles juridiques) concurrentes (voire parfois contradictoires) entre elles, de ladite Shari’a.

ð        Il existe une dizaine d’écoles juridiques reconnues dans le monde musulman. Les plus connues d’entre elles sont les quartes suivantes :

ð        L’école Hanafite : pratiquée en Turquie, en inde, au Pakistan …C’est l’école la plus ouverte.

ð        L’école Malikite : pratiquée au Maghreb et en Afrique ;

ð        L’école chafiite : pratiquée en Egypte, en Syrie, …

ð        L’école Hanbalite : pratiquer en Arabie et dans certains pays du Golfe. Elle est la plus rigoureuse.

Il existe aussi plusieurs écoles dogmatiques et plusieurs courants de pensé.

Les uses et coutumes font partie des sources de la législation. A condition qu’ils ne contredisent pas les principes fondamentaux de l’islam

L’islam établi depuis sa naissance l’acceptation des autres cultes. Il annule toute contrainte en matière de croyance. « [256] Point de contrainte en religion maintenant que la Vérité se distingue nettement de l’erreur. » 02. Sourate de la Vache (Al-Baqara) Nous dit le Coran. « [29] Dis : « La Vérité émane de votre Seigneur. Croira qui voudra et niera qui voudra ! » 18. Sourate de la Caverne (Al-Kahf)

Le mot islam signifie acceptation volontaire et ne peut en aucun cas rimer avec le mot contrainte.

Presque toutes les religions connues dans le monde ont été, à un moment ou à un autre, sous la responsabilité d’Etats ou de royaumes se réclamant de l’Islâm. Il en est ainsi du christianisme comme du judaïsme, du bouddhisme comme de l’hindouisme. Ces croyances ont fait l’objet de la protection et du respect de l’Islâm tout au long de la période passée sous son règne. Jamais l’histoire ne s’est faite l’écho d’une quelconque islamisation forcée des adeptes de ces religions.

L’Islâm n'éprouve aucune hostilité ou animosité envers les autres religions et civilisations. Bien au contraire, il reconnaît ces religions et civilisations et respecte leurs spécificités et leurs valeurs propres.

Aujourd'hui, plus qu'hier, l’Islâm est capable d'inspirer aux musulmans la coexistence pacifique avec les autres religions et civilisations et le respect de leurs adeptes et partisans dans un monde en proie aux conflits, au bellicisme des puissants et à leur volonté de suprématie. Il aspire profondément à la paix et à l'entente entre tous les peuples et toutes les civilisations.

L’islam fait partie de la genèse de la modernité, personne ne peut nier la participation de la civilisation arabo musulmane dans le domaine des valeurs, des sciences humaines, les mathématiques, la médecine, l’astronomie… Tout le monde connaît Avicenne le médecin, Averroès le philosophe, AlGazali le mystique, Ibn Khaldounl le sociologue, Jabir ibn Hayan l’initiateur de l’Algèbre, …

« La genèse des Lumières et de la modernité se trouvent dans la civilisation islamique médiévale florissante »[1]

Malheureusement, ses apports sont souvent passés sous silence dans les manuels scolaires.

La civilisation occident, hier, fut islamo-judéo-chrétien et non pas seulement judéo-chrétien elle fut aussi gréco- arabe.

Les valeurs de l’islam ne sont pas incompatibles avec les valeurs fondatrices de l’identité européenne, elles sont plutôt complémentaires.

Que l’héritage chrétien de l’Europe soit mis en valeur ne pose aucun problème aux musulmans bien au contraire, les points qui nous rapprochent sont bien plus nombreux que ceux qui nous différencient.

Mais il n’en demeure pas moins qu’il serait injuste qu’on puisse occulter l’héritage musulman et les huit siècles de présence musulmane dans le sud de l’Europe qui ont grandement contribué à la renaissance de l’Europe.

Depuis plus de trois siècles, l’Islam est confronté au défi des Lumières et de la modernité de l’Europe.

La modernité qui est toujours positionnée en tant que défi pour les religions en général pourrait être considérée aussi comme une chance.

L’Islam et la modernité ne sont pas nécessairement opposés.

Sur la question de la raison par exemple, dès l’origine, l’Islam a toujours été à l’aise avec la raison. Il a toujours reconnu son immense potentialité et sa nécessité, mais il a toujours eu conscience de ses limites. L’Islam a reconnu simultanément le caractère absolu de la Vérité et la relativité des revendications d’une vérité.

L’islam ne se dresse pas comme l’ennemi de la modernité même si certains intellectuels occidentaux veulent faire de lui l’ennemi à abattre après la chute du communisme.

Et à cause des dérives récentes de l’extrémisme de certains musulmans, certains sont tentés de penser, surtout depuis la chute du mur de Berlin, que désormais la frontière entre le monde libre et un monde totalitaire est celle de l’Occident et du monde de l’islam.

Toutefois, la modernité a pris une tournure déplorable, au cours du siècle dernier, en corrompant ses propres principes fondateurs. La valeur de liberté, est comprise, de nos jours, comme la liberté de faire n’importe quoi. La raison a été remplacée par la raison de convenance. La connaissance s’est mise au service du pouvoir. La sagesse a été supplantée par l’opinion publique.

Face à la modernité les musulmans ont eu trois attitudes différentes :

ð        Repli sur soi et l’extrémisme.

ð        L’acceptation aveugle des faits et des méfaits de cette modernité. Voir en elle la seule voie à suivre. Beaucoup d’intellectuels musulmans sont victimes de cet aveuglement.

ð        L’acceptation et la valorisation des valeurs communes et des apports et la résistance contre les méfaits. Jouir des fruits de la modernité, continuer à résister à la face sombre de la modernité. Ne rien brader en matière de fidélité religieuse.

Accepter et valoriser la modernité scientifique et technique, s’inspirer de la modernité politique et économique et résister à la modernité culturelle et sociale.

Méfaits de la modernité :

ð        Le matérialisme dévastateur

ð        La culture de l’intérêt et du profit

ð        La femme marchandise

ð        L’avoir au lieu de l’être

ð        La pauvereté exéssive d’une grande partie de l’humanité.

Les apports de la modernité :

Institualisation les droits de l’homme : reste un grand chemin à parcourir pour les appliquer à tous.

La démocratie comme outil de gouvernance. L’occident doit œuvrer pour sa généralisation même si cela ne concorde pas avec ses intérêts.

La généralisation du principe de la dignité humaine et de la liberté religieuse.

Hélas, certains principes de la modernité reste juste des slogans ou ont été réalisée que partiellement. (Fraternité, égalité…)

Concernant la sécularisation les musulmans sont très à l’aise avec le principe dans le contexte européen. La sécularisation n’est pas nécessairement synonyme de déreligionisation même si certains.

Les musulmans sont et veulent être une partie intégrante de la société, ils tiennent à être à côté de leurs concitoyens pour soutenir les valeurs humaines de la paix, la justice, le respect mutuel, le libre exercice du culte, le droit à l’égalité entre toutes les composantes de notre société, le respect et la protection de l’environnement et le partage équitable de la richesse, le respect de la vie, la protection des plus faibles (les personnes âgés, les malades et les handicapés, les femmes et les enfants) et la sauvegarde de la famille

Les musulmans ne sont pas là pour islamiser l’Europe mais seulement pour y vivre paisiblement avec les autres composantes de notre société toute en gardant et pratiquant notre religion dans des conditions dignes.

Si les anciennes générations ont choisies la France pour des raisons politiques ou économiques, la majorité des nouvelles générations n’a pas eu de choix à faire et pourtant elle assume complètement cette nouvelle identité à la fois française et musulmane.

Il est dangereux pour les générations musulmanes futures de vivre une dualité identitaire. Il ne s’agit pas de deux identités distinctes, une musulmane et l’autre française, mais d’une seule identité qui ne doit renier aucune des deux composantes. En réalité, les deux doivent se conjuguer pour n’en faire qu’une.

L’islam est maintenant une religion européenne et les citoyens sont et seront un atout pour l’avenir de la société. J’en suis convaincu.

ð        Traiter avec des acteurs crédibles.

ð        Purifier notre imaginaire. (Cela vaut pour les chrétiens comme pour les musulmans.)

ð        Tous les citoyens doivent prendre leurs responsabilités en s’engageant vers l’ouverture, en cherchant à mieux connaitre l’autre, sa complexité, ses valeurs et ses espoirs. C’est notre responsabilité commune et il faut pour y faire face que nous cessions de nous lamenter et que nous nous engagions ensemble,  pour défendre les droits acquis, l’égalité des êtres humains, leur dignité et notre refus déterminé du racisme.

Les musulmans doivent faire un effort particulier pour

ð        La contextualisation des textes ;

ð        Plus d’ouverture ;

ð        Une émulation réciproque entre toutes les composantes de la société, notamment les chrétiens et musulmans, pour relever les défis du « vivre ensemble ».